‘’A la recherche de Winston Churchill’’, recueil d'interviews de Pierre Assouline
Saviez-vous qu’un quart des Britanniques pensaient que Winston Churchill était un personnage de fiction ? Et combien de Français le pensent aussi ? Pour ne pas sécher si un jour la question vous est posée, vous pouvez lire le recueil des cinq interviews que Pierre Assouline a conduites à l’occasion du 70ème anniversaire des débuts de la Seconde guerre mondiale sur France Culture : ‘’A la recherche de Winston Churchill’’. Les discussions que les dix historiens ont deux à deux sont très édifiantes, et la formule de questions-réponses rend leurs analyses accessibles.
Certains disent de lui que c’est le de Gaulle d’Outre-manche. Ce n’est pas complètement faux, mais c’est loin d’être vrai. Winston Churchill est celui qui a conduit le Royaume-Uni à travers la Seconde guerre mondiale, celui qui a préservé l’honneur et l’humanité de son pays, celui qui a forcé tout un peuple à résister au nazisme malgré les bombardements des batailles d’Angleterre.
Charles de Gaulle lui n’a conduit ‘que’ la résistance. Et encore, il n’en a dirigé qu’une petite partie jusqu’en 1943, lorsque celle-ci a pu être unifiée. Mais c’est cette résistance qui a placé la France du côté des gagnants en 1945.
Contrairement à ce que beaucoup pensent – et à ce que certains professeurs nous apprenaient il n’y a pas si longtemps – la France n’a pas gagné la guerre. Seule la résistance l’a emporté. Grâce à Churchill, c’est tout le Royaume-Uni qui a triomphé – même si certains Britanniques, notamment les ‘appeasers’, étaient pour la conciliation avec l’Allemagne. Et même si Churchill a soutenu – avec regret finalement – Edouard VIII, le roi qui a abdiqué en 1936 et qui n’était pas insensible à Hitler.
L’homme et le mythe
C’est tout ça que nous apprend le recueil d’interview ‘’A la recherche de Winston Churchill’’. Tout cela, et même plus. Reprenant le script de cinq interviews avec dix historiens français et anglais, Pierre Assouline revient sur la personnalité de Winston Churchill, de son profil personnel à son statut de chef de guerre jusqu’aux mythes qui entourent le personnage.
La forme du livre – des interviews fidèlement reproduites – rend agréable et aisée la lecture du texte. Chaque historien donne sa vision – parfois en contradiction avec son interlocuteur – du Premier ministre anglais et de son rôle dans l’histoire.
Churchill vs De Gaulle ?
Une section, par exemple, est entièrement dédiée à ‘’Churchill et la France’’. Car s’ils sont souvent comparés l’un à l’autre, les deux hommes se sont connus, côtoyés… et détestés.
Ils avaient des caractères très différents voire antithétiques. Churchill était exubérant, tandis que de Gaulle avait le calme et la stature d’un personnage tout droit sorti des livres d’histoire. aurait dit de Gaulle à Churchill – ‘’Non, vous n’êtes pas la France. Vous êtes la France combattante’’, aurait-il répondu.
D’ailleurs, remarque Pierre Assouline, on appelle souvent le Premier ministre anglais par son prénom Winston – ‘Winston is back’ mais on n’ose pas encore le faire pour de Gaulle. C’est que Churchill a des oripeaux très humains, notamment grâce à ses faiblesses : sa dépression latente et son goût pour la boisson. Mais il ne manque pas non plus d’égo lorsqu’il dit : ‘’je sais que l’histoire me sera indulgente, car j’ai l’intention de l’écrire’’.
‘’Il n’y a avait pas de dictature, et Churchill le regrettait’’
Churchill, selon François Kersaudy, professeur à la Sorbonne après avoir enseigné à Oxford, aurait aimé pouvoir exercer son pouvoir en autocrate, un peu comme de Gaulle qui régnait en maître sur la résistance : ‘’il n’y a avait pas de dictature, et Churchill le regrettait’’, explique l’historien.
‘’Mais si on ne l’avait pas retenu, il aurait causé énormément de dégâts’’, ajoute-t-il. Une phrase qui suffit à montrer que les intervenants ne sont pas des admirateurs invétérés du chef de guerre et que Pierre Assouline ne les fait pas enfiler des perles sur presque 200 pages.
Les historiens s’attardent agréablement sur les relations conflictuelles qu’ont entretenues de Gaulle et Churchill. Le Premier ministre britannique a même parfois voulu de rompre avec de Gaulle. ‘’Churchill a dit qu’il fallait jeter de Gaulle à la tour de Londres, menottes aux mains et fers aux pieds’’, explique Jean-Louis Crémieux-Brilhac, historien et résistant. Mais c’est seulement parce qu’il savait que ses conseillers ne le laisseraient pas faire.
‘’Un lama femelle surpris dans son bain’’
Les deux hommes partageaient d’autres choses : leur francophilie comme le remarque Robert Tombes, professeur d’histoire de France à l’université de Cambridge ; mais aussi un sens de l’humour pince sans rire. Churchill décrivait de Gaulle comme ‘’un lama femelle surpris dans son bain’’. De son côté, Churchill n’a pas hésité à répondre à son gendre qui lui demandait un jour qui il aurait voulu être pendant la guerre s’il n’avait pas été lui-même : ‘’Mussolini ! Parce que lui a réussi à faire fusiller son gendre’’.
Mais l’autre grand point commun que ces deux grands hommes partageaient était le désamour - ou l’ingratitude peut-être - dont ils ont été victimes. Churchill a perdu les élections dès 1945, et de Gaulle a démissionné du gouvernement en 1953, pour n’être rappelé au pouvoir qu’en 1958 après une longue traversée du désert.
Le détail et l’uchronie
Les historiens s’attachent aussi à la personnalité auxiliaire de Churchill. Son amour pour la peinture, son passé de journaliste et même ses exploits de jeunes soldats jusqu’à la mention de sa participation à la dernière charge de cavalerie de l’histoire en 1898 au Soudan.
Pour le plaisir de l’exercice, Philippe Chassaigne et Julian Jackson, se prêtent même aux plaisirs de l’uchronie : que ce serait-il passait si… si Churchill n’avait pas été lui-même, et que le Royaume-Uni avait acheté la paix avec l’Allemagne par l’intermédiaire de Lloyd Georges. Un exercice agréable - loin des délires de deux intellectuels - car on en apprend plus sur ceux qui résistaient contre Churchill, ceux qui voulaient faire la paix avec l’Allemagne nazie.
Les héritiers de Churchill
Pour revenir dans une réalité plus actuelle, la question des héritiers de Churchill est aussi abordée. Elle semble presque aussi compliquée que pour le général de Gaulle en France. L’image du Premier ministre britannique souffre d’un contraste important : il était foncièrement conservateur en terme de société, et si les Britanniques l’appréciaient pour ce qu’il avait fait pour l’honneur du Royaume-Uni, ils ne voulaient pas le voir régir leur quotidien car il avait été un ‘’ministre de l’Intérieur répressif’’ explique Anthony Roley, directeur éditorial chez Fayard et auteur de nombreux livres sur Churchill.
Un quart des Anglais pensent que Churchill est un personnage de fiction
Pour François Kersaudy, Margareth Thatcher s’est certainement inspirée de Churchill dans son conservatisme. Mais le souvenir qu’elle a laissé aux Britanniques est très contrasté.
De son côté, Anthony Roley, n’identifie David Cameron, l’actuel Premier ministre, comme un héritier de Churchill que pour ‘’l’accessorisation’’ : ‘’ses costumes, sa manière de se déplacer…’’, explique-t-il.
Cet ouvrage est à mettre entre toutes les mains. Ceux qui connaissent mal Churchill comme ceux qui le connaissent mieux puisqu’il contient les analyses variées de dix historiens français et anglais. C’est un ouvrage d’ailleurs dont les Britanniques auraient particulièrement besoin selon Pierre Assouline. Le journaliste cite notamment une étude datant de 2008 montrant qu’un quart des Anglais pensent que Winston Churchill est un ‘’personnage de fiction’’.
A la recherche de Winston Churchill, de Pierre Assouline, Ed. Perrin, 3 mars 2011
marie.billon@gmail.com
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