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Émeutes britanniques : les problèmes sont aussi les solutions

Alors que les émeutes s’étendent en Grande-Bretagne, force est de constater que les solutions sont aussi les causes de la crise : la police tout d’abord, mais aussi le communautarisme à la britannique et la politique menée par la coalition depuis un an.


Tout a commencé lorsque, le 4 août dernier, un jeune de 29 ans, Mark Duggan, a été tué lors d’une fusillade avec la police.

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Tout a commencé quand la coalition a annoncé des coupes dans les budgets de la police qui pourraient mener à la suppression de plusieurs milliers d’agents dans les rues.

 

On ne sait pas quelle entrée prendre pour comprendre les émeutes de Londres, ce qui les a déclenché et surtout ce qui pourrait les arrêter.


Lorsque la coalition a annoncé la possible suppression de milliers d’agents de police, la presse a multiplié les articles sur l’insécurité qui risquait d’augmenter de manière exponentielle. Mais la presse explique aussi que le pic d’insécurité qui touche maintenant la plupart des grandes villes d’Angleterre est dû à la police. Il n’y a qu’à voir cet article du Guardian : ‘’La mort de Mark Duggan (…) est une nouvelle tragédie dans la longue histoire des rapports entre Scotland Yard et les Londoniens. Et plus particulièrement entre la police et les Londoniens noirs issus de minorités ethniques qui subissent une surveillance permanente, des arrestations nombreuses et un harcèlement quotidien. (…) Il suffit de consulter le nombre de décès survenus en garde à vue (au moins 333 depuis 1998, et pas une seule condamnation de policier pour ces faits) pour comprendre pourquoi beaucoup considèrent, plutôt à juste titre, que l'IPCC (commission indépendante qui gère les plaintes contre les forces de police) et la justice protègent davantage la police que la population.’’

 

 

Bavures policières


Il faut dire que la mort de Mark Duggan arrive à un moment de crise de popularité pour la police londonienne empêtrée dans le scandale des écoutes. Privée de numéro 1 et de numéro 2 depuis leur démission à cause des liens que Scotland Yard aurait eu avec les journalistes du groupe Murdoch pratiquant les écoutes téléphoniques, la police aurait préférée se contenter de gérer les affaires courantes.


Ici, la police est le problème. Là, la police est la solution : David Cameron a demandé à 16 000 policiers de quadriller les rues de Londres mercredi soir. Mais déjà, les vidéos de bavures policières se multiplient sur les sites de partages comme YouTube. Or, les officiers se sont vus conférer le droit d’utiliser des balles en plastiques, ‘’un droit jamais encore accordé sur le territoire de la Grande-Bretagne’’, explique The Guardian.

 

 

Le maire de Londres, Boris Johnson, s’est, lui, désolidarisé du parti conservateur. ‘’Si vous me demandez si je pense que diminuer les budgets de la police est une bonne idée à la lumière de ces événements, ma réponse est non (…). L’argument (pour effectuer ces coupes) a été toujours été faible, il est désormais considérablement fragilisé’’, a-t-il estimé.

 

''Citoyens vigilants''


Malgré le gonflement des effectifs de policiers ces derniers jours, des comités de ‘’citoyens vigilants’’ se créent un peu partout pour protéger les biens des commerçants. Ils estiment que la présence de la police ne suffit pas, voire même qu’elle excite ceux qui veulent ‘casser du flic’. D’autres encore regrettent les ordres que les agents reçoivent : ne pas aller à l’affrontement et se contenter d’empêcher les pillages. Mais comme le rappelle Marc Roche, journaliste au Monde, seul 10% de la police londonienne sont véritablement ‘’formés au maintient de l’ordre’’.


Alors les commerçants et les habitants prennent les choses en main avec les moyens du bord. Le Monde rapporte que les commandes d’objets comme des matraques ont explosé sur Amazon ces derniers jours.


‘’Je ne veux pas faire la loi, mais si je dois le faire, je n’hésiterai pas’’, a dit un commerçant-citoyen-vigilant de Hackey à The Independent. Un autre commerçant londonien s’est fait encore plus clair et critique auprès du Guardian : ‘’Il était 10 heures du soir. Ils étaient nombreux. Nous sommes sortis de nos boutiques et la police nous a demandé de ne rien faire. Mais comme elle ne faisait rien non plus, et comme il en venait d’avantage, nous les avons chassés nous-même’’.


Ces comités, selon The Independent, ont souvent tendance à se former parmi les communautés, comme à Whitechapel, dans l’est de Londres, où une forte communauté bengali a ses commerces et a déjà prévu de les protéger mercredi soir.

 

Le communautarisme, lui aussi, problème ou solution ?


En somme, on accuse la police de ne pas être étrangère à l’origine de ces émeutes, mais c’est à elle qu’on fait appel pour les apaiser. On accuse aussi le modèle britannique du communautarisme d’être une autre cause de ces violences, et ce sont pourtant ces communautés qui s’organisent pour protéger leurs biens.

 

Bien sûr, des citoyens lambda qui prennent les choses en main, cela peut faire craindre des dérapages graves. Ils pourrait soit faire preuve de violence excessifs envers les casseurs, soit eux-mêmes être blessés voire tués parce qu’ils n’ont pas de protections particulières, comme ces trois hommes mardi à Birmingham. Mais si tout - ou presque - se passe bien et qu’ils protègent véritablement les commerces et le quartier, la facture présentée au gouvernement sera d’autant plus petite, le nombre de gens touchés financièrement sera lui aussi réduit, la colère sociale pourra donc elle aussi diminuer d’autant.

 

 

En revanche des appels à la justice personnelle comme celui lancé par le Sun en milieu de semaine risque d'attiser les vélléités de justiciers de certains. En titrant ''Chopez un abruti'', le quotidien à sensation ne s'écarte pas de sa ligne éditoriale qui est souvent celle de la provocation.

 

La coalition, elle aussi problème et solution ?

 

Mais il y une troisième donnée qui se présente à la fois comme le problème et la solution. Cette donnée est à court terme puisqu’elle n’existe que depuis un an : c’est la coalition en elle-même. Les coupes budgétaires que le gouvernement de David Cameron a mis en place pèsent déjà lourd sur les Britanniques, et pas sur les plus favorisés. C’est pourtant David Cameron qui doit gérer la crise.

 

Mais il serait caricatural – et certainement partisan – de dire que la coalition est la cause de tous les maux. Les difficultés économiques que l’Angleterre, et toute la Grande-Bretagne, rencontrent aujourd’hui sont à replacer dans le long terme, c’est une évidence.


Les raisons de la colère


The Guardian résume ainsi les raisons de la colère : ‘’la Grande-Bretagne l'un des pays les plus inégalitaires du monde développé’’. Et le quotidien détaille la réflexion qui a mené à cette conclusion : ‘’Le quartier londonien de Haringey, où se trouve Tottenham, affiche le quatrième taux de pauvreté infantile le plus élevé de Londres et un taux de chômage de 8,8 %, un taux supérieur à la moyenne nationale. (En Grande-Bretagne) les 10 % les plus aisés sont aujourd'hui 100 fois plus riches que les plus pauvres (…) et selon l'OCDE, le pays détient le triste record de la mobilité sociale la plus faible dans l'ensemble des pays développés. (…) Or des décennies d'individualisme, de concurrence et d'égoïsme encouragés par l'Etat, combinées à un travail systématique de sape des syndicats et à une stigmatisation croissante de la différence, ont fait de la Grande-Bretagne l'un des pays les plus inégalitaires du monde développé.’’

 

Gérer l’urgence, et s’attaquer aux fondamentaux


En somme, comme d’habitude dans ce genre de crise, il faut gérer l’urgence et promettre de s’attaquer aux causes profondes dès que le calme sera revenu. Le problème sera alors d’autant plus politique que le Parti travailliste – et Ed Miliband, le nouveau leader en particulier – fait de l’égalité son principal cheval de bataille (le New Labour de Tony Blair ne mettait pas l’égalité en haut de l’affiche, le but était que chacun ait un niveau décent et tant mieux pour ceux qui s’en sortaient mieux que les autres). La Grande-Bretagne risque donc de tomber dans un débat stérile où l’opposition accuse la coalition de proposer des solutions qui ne mènent pas vers un système plus égalitaire.

 

 

 

 

La tentation du populisme

 

La critique est la même depuis le 10 mai 2010 et l’arrivée au pouvoir de ce gouvernement. En face, l’opposition peut toujours proposer des solutions dont la finalité est plus d’égalité. Mais puisque dire et faire n’est pas la même chose, les Britanniques risquent de revenir à un schéma business as usual : la majorité prend les décisions difficiles et l’opposition capitalise sur le mécontentement (quelle que soit la majorité et quelle que soit l’opposition).

 


A moins que ces émeutes aient véritablement et durablement choqué et secoué la population et les politiciens, et qu’une entente cordiale s’instaure. En France, les émeutes de 2005 ont donné un nouveau coup de couteau dans la confiance que les Français avaient dans leurs politiques – et pas uniquement cause de la gaffe du karcher. C’est dans cet interstice que le populisme aime s’insérer. Et si c’est vers solution – cette impasse donc - que la Grande-Bretagne se dirige, les violences n’auront que peu de raison de diminuer.



La coalition ne fait pas dans le populisme, sa côte de popularité s’en ressent très nettement. Mais Ed Miliband est toujours en période de probation, il n’est toujours pas parvenu à se poser comme un politicien premier-ministrable crédible. C’est lui qui, de tous, pourrait le plus facilement tomber dans le populisme. Et dans une crise où les problèmes sont aussi la solution, le populisme est évident la solution la plus aisée.
 

Marie.billon@gmail.com

 

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