On ne cache pas un Républicain dans les placards de sa Majesté

Gerry Adams, le leader du Sinn Féin, essaie de démissionner de son mandat à Westminster. Mais le protocole lui impose de prendre un titre de serviteur de sa Majesté. Or, le Républicain nord-irlandais a toujours refusé de prêter allégeance à la reine.

 

Quitter Westminster pour Gerry Adams, c’est un peu comme quitter une vieille épouse qu’on n’a jamais vraiment aimé, qu’on a épousé par calcul et avec laquelle on n’a jamais vécu. Mais quand on se décide à la quitter, elle tient à ce que tout soit fait dans les formes pour compenser les manquements du mariage. Car si un député français est ‘pacsé’ au parlement et peut facilement le quitter, un membre des Communes britannique est marié avec Westminster ! Le divorce doit suivre une procédure bien définie qui peut ne pas être longue si les deux parties s’entendent et acceptent une séparation à l’amiable. Mais si l’une des deux parties réfute un point de la procédure de divorce c’est toute la machine qui est grippée.

 

En un remake moderne du divorce d’Henry VIII et Catherine d’Aragon, Gerry Adams estime avoir divorcé de Westminster en ayant signalé sa décision au président des Communes, alors que, selon le protocole, il reste marié tant qu’il n’a pas accepté un titre de serviteur de la reine – Henry VIII estimait n’avoir jamais été vraiment marié à sa première femme puisqu’elle avait été l’épouse de son frère aîné, mais il lui manquait la ‘’reconnaissance’’ de cette conviction pour être libre de se remarier. Or la coutume quatre fois centenaire veut qu’un député britannique, ayant été ‘’dûment élu’’ par ses concitoyens, ne peut pas renoncer à sa charge. ‘’Il faut se rappeler qu’à cette époque, être membre du Parlement était vu comme une obligation et n’était acceptée qu’avec beaucoup de réticences’’, explique le site du parlement britannique.

 

‘’Agent de la Couronne britannique’’

 

Selon le protocole datant donc du 2 mars 1624, pour pouvoir renoncer à son siège un membre des Communes doit demander un titre à sa Majesté. Or, recevoir les faveurs et un salaire du souverain compromettant l’impartialité du parlementaire, celui-ci est de facto exclu de Westminster. Deux titres sont donc mis à disposition des démissionnaires : 'Crown Steward and Bailiff of the three Chiltern Hundreds of Stoke, Desborough and Burnham' et 'Crown Steward and Bailiff of the Manor of Northstead'. Des titres qui n’engagent à aucune fonction et que le démissionnaire portera jusqu’à ce qu’un autre parlementaire en ait besoin pour démissionner à son tour.

 

‘’C’est une procédure honorifique qui n’a plus aucun sens véritable, explique Christophe Gilissen, maître de conférence en civilisation britannique à l’université Paris IV. Mais il est inconcevable, pour Gerry Adams, d’accepter d’être un agent de la Couronne britannique’’. Lui qui n’a jamais siégé à Westminster depuis sa première élection en 1983 parce qu’il refuse de prêter le serment d’allégeance à la reine, devrait s’y soumettre pour s’en libérer ?!?

 

‘’Procédures étranges et dépassées’’

 

Le leader du Sinn Féin s’y refuse bien sûr : ‘’On ne m’a rien demandé et je n’ai jamais demandé un tel titre. Je suis un Républicain irlandais. Je ne veux absolument rien avoir à faire avec ces procédures étranges et dépassées propres au système parlementaire britannique.’’ Pour l’instant, les seuls Irlandais qui ont accepté ce genre de titre étaient des Unionistes, comme Ian Paisley, le chef du Parti démocrate unioniste (DUP) jusqu’en 2008, et son successeur, Peter Robinson.

 

Le porte-parole du DUP, Nigel Dodds, a d’ailleurs commenté la situation avec ironie. Gerry Adams ‘’a l’air embarrassé à l’idée de demander un titre auprès de la Couronne, un titre donnant lieu à rémunération, bien qu’il n’ait jamais eu de tels scrupules en profitant d’un siège aux Communes pendant de nombreuses années, au frais des contribuables’’. Une attaque à laquelle Gerry Adams avait déjà répondu en disant qu’il était ‘’fier d’avoir représenté les habitants de l’ouest de Belfast pendant près de 30 ans et de l’avoir fait sans prêter allégeance à la reine anglaise’’.

 

Mais le dernier outrage lui a été fait par David Cameron lors de la séance des questions au Premier ministre : ‘’Pour ceux qui en douterait, l’honorable représentant de Belfast Ouest a effectivement accepté une charge au service de la Couronne. Je ne suis pas certain que Gerry Adams soit enchanté (…) mais je suis heureux que les traditions aient été respectées''.

 

Automatismes

 

Or, les traditions n’ont pas été respectées selon Gerry Adams. S’il a remis sa lettre de démission au président de la Chambre, jamais il n’a demandé le titre que le protocole lui impose. Mais la procédure s’est mise en place toute seule a expliqué le Trésor : ‘’Compte tenu de la tradition et des précédents, le chancelier a interprété la démission de M. Adams comme une demande de titre et il le lui a donc accordé.’’

 

Cet automatisme a bien sûr fortement déplu à Gerry Adams qui a déclaré : ‘’Bien que je respecte le droit des parlementaires britanniques à suivre un protocole qui leur est propre – malgré sa singularité aux yeux du reste du monde et des Irlandais en particulier - le Premier ministre ne devrait pas faire des déclarations inexactes’’.

 

D’après le leader du Sinn Féin, le secrétaire privé de David Cameron s’est excusé. Mais le problème reste entier car ce titre est le chemin ‘’obligatoire’’ pour démissionner. Selon la présidence de la Chambre, Gerry Adams reste donc parlementaire.

 

‘’Nous n’avons rien à faire [de ce protocole]. Comme il n’y a pas de constitution écrite, ils s’amusent à inventer des procédures’’, a estimé un porte-parole du Sinn Féin.

 

Jeté dehors manu militari

 

Westminster l’a bien compris, il ne fera pas plier Gerry Adams .Il faut donc trouver une autre solution. En l’occurrence une mise en scène assez dramatique : tout député qui voudrait siéger alors qu’il n’a pas prêté serment à la reine est expulsé de Westminster et démis de ses fonctions. Il suffirait donc que Gerry Adams accepte de se faire jeter dehors manu militari ! Mais le Sinn Féin a déjà prévenu qu’il ne participerait à cette mascarade.

 

Il va donc falloir réfléchir un peu plus pour résoudre le problème sauf si Gerry Adams renonce à démissionner, ce qui paraît peu probable pour Christophe Gilissen : ''Outre le fait que son défi aux usages parlementaires britanniques passe bien auprès de son électorat républicain, je ne l'imagine pas céder aux pressions exercées par les conservateurs britanniques''. Pour le professeur, cette situation est plus embarssante pour Westminster que pour Gerry Adams puisque les autorités refusent de changer un protocle vieux de 400 ans.

 

Le leader du Sinn Féin pourrait, en toute légalité, siéger à Westminster et au Dail de la République d'Irlande s'il est élu. Mais cette option n'a pas sa faveur. Il a d'ailleurs déjà renoncé à son siège à l’Assemblée d’Irlande du Nord bien qu'il puisse cumuler ce mandat avec un siège au Dail.

 

Le leader catholique républicain ne cache pas les raisons de ce jeux de chaises musicales : participer à la réunification des deux Irlande en un Etat indépendant de la Grande-Bretagne.

 

marie.billon@gmail.com

 

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