Le rétablissement de la peine de mort est-il possible ?

Le rétablissement de la peine capitale a été demandé sur le site e-petition. Si plus de 100.000 personnes adhèrent à cette requête, Westminster pourrait devoir rouvrir le débat. Déjà plus de 15.000 signatures ont été récoltées en quelques jours.

 

Non seulement la peine de mort n’est pas un moyen efficace de dissuasion contre le crime, mais ceux qui y ont goûté sont les premiers à en redemander ! Le blogueur Guy Fawkes fait campagne pour que la peine capitale soit rétablie en Grande-Bretagne. Guy Fawkes est bien sûr un pseudonyme emprunté à l’auteur du Gunpowder plot, une tentative d’attentat au parlement en 1605. Le véritable Guy Fawkes a été pendu en 1606. Plus compliqué encore, Guy Fawkes était déjà un pseudonyme pour le personnage historique, il s’appelait en fait John Johnson. Le bloggeur, de son vrai nom, se nomme Paul Staines.

 

Ce dernier n’a pas lancé une campagne en l’air. Si son blog ‘’order-order’’ (formule utilisé par le Speaker de la chambre des Communes pour appeler au silence) sert de plateforme à sa campagne (Guy Fawkes cherche d’ailleurs un stagiaire pour l’aider à monter son projet), il a décidé de passer par e-petition. Le site internet a été ouvert le 4 août dernier par le gouvernement britannique. Le but est que les citoyens puissent prendre part au débat politique et faire des propositions de législations ou soumettre des idées. Toute pétition rassemblant plus de 100.000 signatures pourrait potentiellement être étudiée par le Parlement.

 

Des dizaines de pétitions pour le rétablissement de la peine capitale

 

Bien que la presse britannique s’inquiète déjà beaucoup des conséquences possibles de la pétition de Guy Fawkes, on est encore loin du compte. Le 15 août à 19h, seules 15.300 personnes l’avaient signé, alors qu’une pétition appelant au maintient de l’abolition avait obtenu 22.573 signatures.

 

En revanche, le nombre de personnes se précipitant sur le site a réussi à le faire planter dès le jour de son ouverture. Selon The Guardian, c’est l’enthousiasme pour cette pétition en particulier qui a créé cet incident.

 

... Cette pétition ou le même type de pétition. Car la proposition de Guy Fawkes n’est pas la seule qui, sur le site, réclame le retour de la peine de mort. On en compte plus d'une dizaine. De quoi éparpiller les votes, même si la popularité du blogueur met sa pétition largement en tête de course. Par ailleurs, il ne réclame le retour de la peine de mort que pour les meurtriers d’enfants et de policiers, d'autres demandes sont moins précises ou comportent des requêtes différentes.

 

Guy Fawkes a en tout cas déjà réussi à obtenir le soutien de trois parlementaires conservateurs : Philip Davies, Andrew Turner et Priti Patel. Ce dernier estime qu’il est ‘’grand temps que le public aie son mot à dire sur les sujets sur lesquels [les parlementaires] débattent. Que [la question de la peine de mort] ait été soulevée ne m’étonne pas. Nous avons besoin de moyens de dissuasion forts pour que les gens qui s’apprêtent à commettre un crime y réfléchissent à deux fois’’.

 

Le retour des ''suppliques''

 

E-pétition n'a été ouvert que depuis quelques jours et déjà ses pages font les Unes des journaux. Le sujet de la peine de mort étant un sujet controversé et surtout extrêmement compliqué, certains estiment que ce site est une fausse bonne idée. Pour Anthony Barnett, du Guardian, les politiques risquent de voir dans cette demande particulière la preuve qu'on ne peut "pas faire confiance aux gens". "Ces pétitions modernisent et intensifient la vieille culture politique réactionnaire sans la remplacer. La notion de pétition nous ramène au temps de la "touche populaire" tentée par la Monarchie, et du culte des suppliques. C'est moyen d'assujettissement, pas de citoyenneté", estime-t-il encore.

 

Sebastian Shakespeare du London Evening Standard, va plus loin et critique l’idée même de démocratie participative. ‘’La majorité des gens est peut-être favorable à la peine de mort, mais cela ne signifie pas que la majorité a raison. C’est pour cela qu’il ne doit pas y avoir de référendum dans ce pays. Nos parlementaires sont là pour légiférer, pas tous les Britanniques’’, écrit-il.

 

Ecouter ou nier la volonté des Britanniques ?

 

Les parlementaires ne seront pas contraints de débattre de la question si les 100.000 signatures sont atteintes, mais ignorer ce score et la volonté d'une partie significative de la population en "prétendant que ce point de vue n'existe pas (...) serait dommageable à la démocratie’’, estime Sir George Young, parlementaire conservateur en charge de développer le projet de e-petition.

 

Pourtant, remettre le couvert ne plairait pas aux parlementaires. Ils ont voté l'abolition de la peine de mort en 1965 - les dernières exécutions ayant eu lieu en 1964 - et ils ont déjà revisité la question en 1998. Ils ont alors rejeté la proposition à 158 voix.

 

Un débat en contradiction avec les tendances abolitionistes mondiales

 

Un autre obstacle de taille à la réhabilitation de la peine capitale est l'Europe. La Cour Européenne des Droits de l’Homme (CEDH) a estimé que cette condamnation contrevenait aux conventions européennes auxquelles les Britanniques ont adhéré. Il serait donc illégal de la rétablir. Si le débat a lieu, et que les parlementaires votent pour la réhabilitation, il est donc fort possible que cette décision ne puisse pas s’appliquer.

 

Par ailleurs, rétablir la peine de mort serait en contradiction avec les nombreuses campagnes internationales visant à éliminer ce châtiment. Comme le rappelle, Neil Durkin, un militant d’Amnesty International, cela ‘’mettrait le Royaume-Uni en porte-à-faux avec les efforts d’abolition qui se multiplient partout dans le monde’’.

 

51% des Britanniques pour la peine capitale en 2010

 

Mais les Britanniques veulent-ils vraiment le rétablissement de la peine capitale ? En 2010, un sondage YouGov a estimé que 51% des Britanniques y étaient favorables pour les meurtriers. Il faut dire que la question réapparait de manière épisodique, généralement lorsqu'un crime spécialement odieux, comme le meurtre d'un enfant, est commis.

 

Aujourd’hui, ce sont peut-être les récentes émeutes qui ont poussé certains à s'intéresser au débat, comme on le voit sur ce blog. ‘’Les émeutes (…) vont certainement ranimer la volonté de réhabilitation de la peine de mort’’, est-il écrit. Il est vrai que les slogans "bring back hanging'' - rétablissez la pendaison (un mode d'exécution cher à l'histoire britannique) - fleurissent partout sur le net, et notamment sur Facebook.

 

Suspens jusqu'en février 2012 au plus tard

 

En temps de crise économique – problème qui n’est certainement pas étranger à ces violences - certains estiment que payer pour garder des criminels en vie est un luxe qu'on ne peut pas se permettre. C'est oublier, rappelle Sébastian Shakespeare, que les Etats-Unis ne font pas d’économie sur les criminels exécutés en raison le temps d’attente avant l'exécution ?

 

Il n’y a d’ailleurs pas que la volonté du peuple qu’il faut prendre en compte pour un sujet aussi grave, rappelle Anthony Barnett. La seule crainte de l'erreur judiciaire devrait, selon lui, rendre ce débat caduc, car la justice n’en est jamais à l’abri.

 

Malgré tout, le nombre de signatures de la pétition de Guy Fawkes continue d’augmenter. Entre le 14 et le 15 août, environ 400 signatures se sont rajoutées. La pétition voulant conserver l’abolition a vu 600 signataires se joindre à sa cause. Les Britanniques ont jusqu’au 4 février 2012 pour se prononcer. Il sera intéressant de suivre la courbe, et de voir ce qui lui donne une impulsion – si impulsion il y a. Le nombre de signatures augmentera-t-il radicalement si un meurtre d’enfant ou de policier est commis ? Ce sera un bon moyen pour mesurer la dimension pulsionnelle de ces opinions.

 

Marie.billon@gmail.com

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